Jouer au Poker Solutionniste avec David Benqué
« Attends,je te fais le schéma de la greffe de poumon électronique » https://t.co/sNbuDylm8w #newweathermen @davidbenque @decalab @lecubetwit
— Laurène Cheilan (@LaureneCheilan) 13 février 2016
« Alors tu vois, il y a eu un grand trou dans la couche d’ozone, et du coup, quand les oiseaux passent devant, ils se font cramer, donc il y a des pluies d’oiseaux morts incessantes. Il y a même une multinationale sans scrupule qui revend ces oiseaux pour que les gens les mangent… – Ah ouais, parce qu’ils sont contaminés, hein ! – Ah oui oui, les gens les mangent et ça les contamine aussi ! – Ok, vas-y, note. – Et donc un transhumaniste a inventé un liquide de cigarette électronique qui permet de recomposer la couche d’ozone… – Oui mais pourquoi un transhumaniste, du coup ? – Alors non, c’est un autre mec, un chimiste. – Ok, mais le transhumaniste ? – Eh ben il intervient après. En fait il va greffer les cigarettes électroniques sur les poumons des gens, pour qu’ils fument tout le temps… – D’accord, mais ils vont tous mourir, du coup ? – On va dire que le chimiste, là, il a trouvé une solution pour que ça ne soit pas nocif du tout du tout ! – Oui, et du coup c’est un mouvement mondial, les gens deviennent transhumanistes aussi, et ils se font greffer leurs cigarettes électroniques directement sur la trachée, et comme ça ils fument en permanence, et à force, ça finit par recomposer la partie de l’atmosphère qui était lésée, le trou dans la couche d’ozone disparaît, et les oiseaux arrêtent de mourir ! »
Non, je n’ai pas assisté à un colloque de pataphysiciens sous LSD. Cet échange étonnant s’inscrivait dans le cadre d’un workshop de design spéculatif, animé par David Benqué au Cube, centre de création numérique à Issy-les-Moulineaux. Ouvert au grand public à l’occasion du festival « La science se livre », cet atelier s’inscrivait dans une programmation orchestrée par Décalab autour de la thématique du catastrophisme.
Le design spéculatif, aussi appelé design fiction ou encore design critique, est une discipline exploratoire, qui met en jeu des mécanismes narratifs particuliers pour questionner et critiquer le réel. Ici, le point de départ était le projet de David Benqué intitulé The New WeatherMen.
On oppose habituellement le militantisme écologique aux biotechnologies, avec l’idée que la préservation de l’environnement passe par un refus de manipuler le vivant. David Benqué s’empare avec facétie de cette opposition conventionnelle, imaginant un groupe d’activistes dont le credo serait de « préserver les espèces vivantes existantes, et d’en créer le plus possibles de nouvelles ». La biologie de synthèse et la manipulation génétique sont, dans les mains des New WeatherMen, des armes efficaces pour combattre le réchauffement climatique ou la déforestation.
Une bactérie correctement modifiée pourra, par exemple, transformer le gasoil en mélasse, et, contaminant pompes et réservoirs par simple contact, rendre toutes les voitures et station essences inutilisables. Les forêts tropicales sont décimées pour mieux planter les palmiers qui fourniront une huile à bas prix pour les préparations industrielles ? Il suffira de modifier le génome du palmier pour que son huile provoque, chez quiconque l’ingère, des troubles intestinaux aigus, qui persuaderont rapidement tous les consommateurs de boycotter les produits dont la composition comporte de l’huile de palme. Cette déclinaison ludique voire loufoque est très sérieusement documentée par des plans et maquettes des différents processus mis en œuvre par les New WeatherMen.
Les #NewWeatherMen et le nouvel ordre mondial symbiotique avec @davidbenque
Une photo publiée par @lowshell3 le
Dans l’idée de poursuivre ce travail en mixant catastrophes écologiques et technologies, David Benqué s’est inspiré d’un précédent workshop mené avec Superflux dans le cadre du projet StudioLab pour proposer un jeu de « poker solutionniste ».
Nous avons donc frénétiquement brainstormé dans les jours précédents, pour fournir une liste longue comme le bras divisée en trois catégories : catastrophe, technologie, acteur. L’idée était de proposer aux participants une combinaison aléatoire de trois éléments pour arriver à une proposition de type « un acteur résout une catastrophe à l’aide d’une technologie ». Tiens, tiens. Ça vous rappelle quelque chose ? Non ? « Un génie de 20 ans trouve la solution aux déchets plastiques dans le Pacifique ! » « Une lycéenne africaine résout le problème de la faim dans le monde ! » Mais oui ! Vous avez peut-être déjà vu ce genre d’articles, partagés des milliers de fois sur les réseaux sociaux, ce mythe éternel de la start-up ou du jeune génie qui va sauver le monde avec une simple petite invention…. C’est de ce « solutionnisme » un peu béat et gentiment naïf que David Benqué s’inspire pour son jeu de poker.
En mettant nos trois colonnes dans le shaker magique, on obtient des propositions comme : « Comment un(e) apiculteur(trice) mettra fin à la marée noire grâce à une brosse à dents connectée ? » ou encore « Comment un(e) lobbyiste mettra fin aux nappes phréatiques contaminées par le fracking grâce à la prédiction algorithmique ? ». Chaque équipe de 2 ou 3 personnes tire une carte au hasard et propose, en 20 minutes, une solution de design fiction en lien avec cette question. On présente sa proposition aux autres, et on recommence.
Et ça marche ! Les participants se sont emparé des questions sans aucun complexe, débattant de façon animé, entre contraintes réelles et applications délirantes, dans une tension génératrice de créativité ! Au final, ce Poker Solutionniste est un bel outil de médiation pour inciter les publics à s’emparer de notions complexes et de problématiques sensibles (ici, l’opposition environnement / technologie) d’une façon conviviale, transgressive et réjouissante.
Ou comment Kim Kardashian sauva le monde d’un tsunami géant en faisant un selfie #designspeculatif @davidbenque @decalab @lecubetwit
— Laurène Cheilan (@LaureneCheilan) 13 février 2016
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