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Réinventer la transdisciplinarité en Inde

par | Fév 11, 2016 | Arts&Sciences, Culture et Société, Innovation |

Au-delà du monde culturel occidental, l’Inde réunit deux caractéristiques qui lui confèrent une place particulière dans le paysage mondial des interactions arts&sciences.

 

  • Ancienne colonie anglaise, elle s’est emparée d’une certaine culture anglophone, avec une vision décloisonnée des arts et des savoirs. Comme au Royaume-Uni, aux États-Unis ou en Australie, le rapprochement des termes « arts » et sciences » est beaucoup plus admis dans les institutions universitaires et culturelles.
  • Pays émergent issu d’une culture millénaire, l’Inde possède une tradition riche et originale liée à l’inventivité technique. En témoigne la récente mise en avant du concept de Jugaad ou « innovation frugale ».
Sans prétendre à un inventaire exhaustif, j’aimerais mettre en avant trois projets indiens singuliers qui abordent de façon transdisciplinaire les questions urbaines, l’espace public et les particularités de l’héritage indien. Les artistes et designers qui interagissent avec le monde des sciences sont très tournés vers la critique et l’innovation sociétale, comme dans le cas des travaux de l’agence de design anglo-indienne Superflux .
Drones, datas, objets connectés, Superflux aborde toutes les thématiques arts/sciences/société sensibles du moment. Pour mieux comprendre leur approche du design mêlant vie quotidienne, sociologie, technologies, activisme et regard empathique sur les évolutions contemporaines, on peut regarder le keynote d’Anab Jain à la conférence Next autour de la thématique How will we live?.

Parmi les projets marquants, citons « Mangala for all » qui mêle design et ethnographie pour questionner le rapport des indiens à la conquête spatiale. Les membres du studio ont déambulé dans les rues d’Ahmedabad avec une valise remplie de miniatures du « Mangalyaan » (la sonde orbitale indienne destinée à l’étude de l’atmosphère martienne) comme autant de petites figurines déifiées. Ces artefacts servaient de base à un échange autour de ce que les passants percevaient de cette mission spatiale, geste spectaculaire envers la communauté internationale, réinterrogeant les enjeux de la conquête spatiale indienne : fantasmes de puissance, exploration de l’inconnu, affirmation à l’international, mais aussi imaginaires de l’espace dans la cosmogonie indienne.

 

Groupe d’artistes, penseurs et activistes aux contours mouvants, Raqs Media Collective existe depuis 1992. Leur pratique a évolué avec les années, passant de la réalisation de documentaires à la production d’installations artistiques, la curation d’expositions ou encore la pédagogie. En ourdou et en persan, « raqs » désigne une pratique méditative. RAQs est aussi un acronyme pour « rarely asked questions » en anglais, et en effet, leur pratique artistique égrène des questionnements sensibles croisant tradition indienne, influence occidentale et histoire coloniale. Leurs interventions hybrides prennent pied dans l’espace public, et sollicitent des supports multiples (sculpture, vidéos, web app…). Le détournement d’archives et d’éléments patrimoniaux indiens est un élément récurrent, comme dans The Untold Intimacy of Digits qui anime les empreintes digitales d’un paysan indien du XIXème siècle ou dans Fever Fever, où un bas-relief du XIIème siècle racontant un épisode du Mahabarata se voit progressivement submerger par une marée noire, montrant les parallèles entre le récit épique et les luttes contemporaines autour du monopole pétrolier.

Fever, Fever, 2015 from Monica Narula on Vimeo.

Lors de la dernière biennale de Venise, leur œuvre « Coronation Park » parsème les Giardini de statues solennelles mais démembrées accompagnées de formules sarcastiques gravées dans la pierre, évoquant à la fois l’histoire coloniale et l’absurdité du pouvoir (un article en anglais sur cette œuvre).
En 2000, Raqs Media Collective participe à la création du centre de recherche Sarai, plateforme de réflexion sur les transformations contemporaines de l’espace urbain à l’interface entre information, société, technologie et culture.

 

Après l’agence de design et le collectif artistique, terminons sur le projet collaboratif Jaaga DNA, destiné à faire le lien entre des artistes indiens ou internationaux et les habitants de Bangalore, à travers un programme de résidences, dans une optique de réappropriation des questions et espaces urbains. Chaque projet de Jaaga DNA s’inscrit dans une durée, incluant consultations publiques et laboratoires artistiques en mêlant design, arts plastiques, recherches en technologies, journalisme ou encore street art. Il peut s’agir de questionner la relation entre présence physique et présence digitale dans les espaces collectifs, de designer des circuits urbains non motorisés, ou encore d’inventer de nouvelles structures de jardins verticaux avec des équipes de « green activists ». Jaaga DNA est étroitement associé à deux autres volets d’action (Jaaga Study et Jaaga Startup). Le premier concerne la formation aux nouvelles technologies, abordée là aussi de manière originale, à travers des stages intensifs de coding et méditation dans une ferme bio. Le second est un programme de soutien aux entrepreneurs.

 

À travers ces trois exemples originaux, nous voyons s’ébaucher des modèles hybrides, mêlant arts&sciences avec de nouvelles façons d’envisager l’innovation sociétale et technologique. Loin de reproduire les formules occidentales, l’Inde s’affirme comme une véritable puissance émergente au niveau culturel. Par son histoire singulière et ses influences multiples, elle montre une capacité à générer ses propres modèles, avec une approche particulière du transdisciplinaire. Elle fait aujourd’hui partie des pays à suivre pour voir émerger les tendances de demain.

 

Photo : © Superflux http://mangalaforall.tumblr.com/

 

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